La douleur chronique peut-elle être prévenue avec l’activité physique ?

La douleur chronique touche des millions de personnes à travers le monde, affectant gravement leur qualité de vie et leur bien-être psychologique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la douleur chronique est définie comme une douleur qui persiste au-delà du temps de guérison normal ou sans lésion physiologique identifiable (Treede et al., 2019). Cette définition souligne que la douleur chronique n’est pas seulement un symptôme physique, mais un problème complexe qui peut persister malgré l’absence de dommages apparents aux tissus.

Nous sommes confrontés à une situation paradoxale : bien que de plus en plus de personnes souffrent de douleurs musculosquelettiques persistantes, une proportion croissante d’entre elles ne parvient pas à intégrer suffisamment d’activité physique dans leur routine quotidienne. Au Canada, par exemple, 75 % des Canadien(ne)s n’atteignent pas les cibles minimales de l’OMS en matière d’activité physique, soit environ 20 minutes de marche rapide par jour (Statistics Canada, 2021).

Pourtant, l’activité physique est reconnue comme l’une des méthodes les plus efficaces pour atténuer ces douleurs (Geneen et al., 2017; van Tulder et al., 2010). Dans ce contexte, il est pertinent d’explorer si l’activité physique pourrait jouer un rôle préventif dans l’apparition de cette douleur chronique.

Neurosciences de la douleur chronique

 

La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle traitée par le système nerveux central. Lorsqu’elle persiste au-delà du temps de guérison prévu, elle peut entraîner une hypersensibilité du système nerveux, où des stimuli normalement non douloureux deviennent intolérables. Ce phénomène, connu sous le nom de sensibilisation centrale, est souvent aggravé par un mode de vie sédentaire, qui réduit l’activité neuronale et augmente l’inflammation dans le corps (Häuser et al., 2016; Woolf, 2011).

Cette hypersensibilité résulte d’une altération dans la transmission et la modulation des signaux douloureux au niveau du système nerveux central. Les neurones impliqués dans la perception de la douleur au sein de la voie spinothalamique deviennent hyperactifs, ce qui augmente leur réactivité à des stimuli qui, normalement, ne déclencheraient pas de douleur (Woolf, 2011).

Le cercle vicieux de la peur-évitement

 

Un des principaux obstacles à la prévention de la douleur chronique est le cercle vicieux de la peur-évitement. Ce phénomène psychologique se caractérise par une réponse émotionnelle intense à la douleur, qui incite les individus à éviter les activités physiques qu’ils associent à une aggravation de la douleur. Bien que la douleur aiguë puisse justifier une limitation temporaire des mouvements, la douleur chronique ne doit pas être un guide pour l’activité physique.

Mécanismes psychologiques

 

La peur de la douleur peut entraîner un comportement d’évitement, où l’individu préfère ne pas bouger plutôt que de risquer d’éprouver de la douleur. Cette crainte est souvent alimentée par des croyances erronées, telles que l’idée que l’exercice (ou activité physique) pourrait aggraver la condition ou causer des blessures supplémentaires. Cette perception peut être renforcée par des expériences passées où l’activité physique a effectivement entraîné de la douleur, créant ainsi un conditionnement négatif (Vlaeyen & Linton, 2012; McCracken, 2005).

Conséquences physiques

 

L’évitement prolongé de l’activité physique mène à un déconditionnement physique. Les muscles s’affaiblissent, l’endurance diminue, et la flexibilité s’atrophie. Ce déconditionnement réduit la capacité de l’individu à effectuer des activités quotidiennes, ce qui peut engendrer une dépendance accrue à l’égard des autres et une diminution de la qualité de vie. Chaque fois que la personne tente de reprendre une activité, même légère, elle peut ressentir une douleur accrue, ce qui renforce encore plus la peur de bouger (Häuser et al., 2016).

 

Impact sur la perception de la douleur

 

Ce cercle vicieux a également des implications sur la perception de la douleur elle-même. La douleur devient de plus en plus centrale dans la vie de l’individu, entraînant une intensification de l’anxiété et du stress. Ces émotions négatives peuvent exacerber la douleur, car le stress est connu pour augmenter la sensibilité à la douleur. Ainsi, la douleur et la peur s’alimentent mutuellement, rendant la gestion de la douleur encore plus complexe (Vlaeyen & Linton, 2012; Asmundson et al., 2004).

 

Stratégies de rupture du cercle

 

Pour briser ce cercle vicieux, il est essentiel d’adopter des stratégies de gestion de la douleur et de rééducation fonctionnelle. Cela peut inclure des thérapies cognitivo-comportementales pour modifier les croyances et les attitudes envers la douleur et l’exercice (Keefe et al., 2004). L’éducation sur les effets bénéfiques de l’activité physique et la mise en place de programmes d’exercice adaptés peuvent également aider les individus à retrouver confiance en leurs capacités physiques.

Des approches graduelles, où l’exercice est introduit lentement et de manière contrôlée, permettent d’augmenter progressivement l’activité sans provoquer de douleur excessive. Cela favorise non seulement la réhabilitation physique, mais aide également à réduire la peur associée à l’activité, ouvrant ainsi la voie à une vie plus active et moins centrée sur la douleur.

En somme, la compréhension du cercle vicieux de la peur-évitement est cruciale pour développer des interventions efficaces dans la prévention et la gestion de la douleur chronique. En travaillant à surmonter cette dynamique, il est possible d’améliorer significativement la qualité de vie des personnes souffrant de douleur chronique.

 

Les bienfaits de l’activité physique

 

De plus en plus de recherches montrent que l’activité physique régulière peut jouer un rôle clé dans la prévention de la douleur chronique. Une méta-analyse conduite par Geneen et al. (2017) a démontré que l’exercice physique aide à réduire de manière significative les douleurs musculosquelettiques, souvent à l’origine des douleurs chroniques. Cette étude soutient l’idée que rester actif est non seulement bénéfique pour la santé générale, mais également crucial pour maintenir un système musculosquelettique en bonne santé (Bennell et al., 2010).

Par ailleurs, van Tulder et al. (2010) ont souligné que l’exercice préventif peut réduire l’incidence des douleurs lombaires, lesquelles constituent souvent un précurseur des douleurs chroniques. Cette découverte est particulièrement importante, car la lombalgie est l’une des causes les plus courantes de douleur chronique dans le monde (Frymoyer et al., 2003).

Comment l’exercice modifie-t-il la perception de la douleur ?

 

L’un des mécanismes par lesquels l’activité physique aide à prévenir la douleur chronique est l’amélioration de la circulation sanguine. Un meilleur flux sanguin favorise l’oxygénation des tissus et aide à éliminer les déchets métaboliques qui peuvent causer des douleurs. De plus, l’exercice stimule la libération d’endorphines, des neurotransmetteurs qui agissent comme des analgésiques naturels en modulant la perception de la douleur (Mayo et al., 2020; McHugh et al., 2016). L’activité physique se classe même devant la médication à ce niveau (Geneen et al., 2017).

L’activité physique, surtout lorsqu’elle est pratiquée de manière régulière et progressive, permet également de contrer la sensibilisation centrale. Grâce à une activité physique adaptée, il est possible de renforcer le système nerveux et de réduire la perception de la douleur, même dans les cas de douleur persistante (Häuser et al., 2016; Kosek et al., 2016).

L’importance de la personnalisation du programme d’exercice

 

Concevoir un programme d’exercice personnalisé est essentiel pour prévenir la douleur chronique sans causer de nouveaux problèmes. Les exercices doivent être adaptés en fonction de plusieurs facteurs, tels que l’âge, le niveau de forme physique, la présence de conditions médicales préexistantes, et les préférences personnelles. Une évaluation approfondie par un professionnel de la santé, tel qu’un kinésiologue ou un entraîneur personnel, est souvent nécessaire pour élaborer un programme sûr et efficace (Mayo et al., 2020; McCracken et al., 2007).

Il est crucial de respecter quelques principes pour maximiser les bienfaits de l’exercice et prévenir les douleurs chroniques. Le principe d’assiduité est fondamental : il faut s’engager sur la durée, car les effets bénéfiques de l’exercice sur la douleur ne se manifestent souvent qu’après plusieurs semaines ou mois de pratique régulière (Shnayderman & Katz-Leurer, 2012). Le principe de progression demande de commencer doucement et d’augmenter graduellement l’intensité et la complexité des exercices pour permettre au corps de s’adapter sans risque de blessure. Enfin, le principe de gestion de la douleur implique d’apprendre à connaître ses limites et de savoir quand ajuster son programme pour éviter une exacerbation des douleurs (Shnayderman & Katz-Leurer, 2012).

Types d’exercices recommandés

 

Différents types d’exercices peuvent être bénéfiques pour la prévention de la douleur chronique. Parmi eux, les exercices aérobiques, comme la marche, la natation et le cyclisme, sont souvent recommandés pour leur capacité à améliorer la condition cardiovasculaire tout en étant doux pour les articulations (Geneen et al., 2017; van Tulder et al., 2010). Les exercices de renforcement musculaire sont essentiels pour maintenir une bonne posture et prévenir les déséquilibres musculaires qui peuvent entraîner des douleurs (Bennell et al., 2010).

Le stretching et les exercices de flexibilité sont également importants pour maintenir l’amplitude de mouvement des articulations et prévenir la raideur, un facteur souvent lié à la douleur chronique. Même pour des personnes très sédentaires, un simple programme de marche peut entraîner des améliorations substantielles des niveaux de douleur (Shnayderman & Katz-Leurer, 2012).

L’exercice comme outil de gestion du stress

 

Le stress est un facteur aggravant majeur de la douleur chronique. L’exercice physique, en plus de ses effets physiologiques, joue un rôle crucial dans la gestion du stress. L’activité physique régulière aide à réguler les niveaux de cortisol, l’hormone du stress, et favorise un sentiment de bien-être général. Cette gestion du stress est particulièrement importante pour les personnes souffrant de douleur chronique, car le stress peut exacerber la perception de la douleur (Vlaeyen & Linton, 2012; McCracken et al., 2004).

Le rôle de l’éducation et du soutien

 

Un autre aspect crucial dans la prévention de la douleur chronique par l’exercice est l’éducation des patients et leur soutien continu. Les individus doivent être informés des bénéfices de l’activité physique et encouragés à adopter un mode de vie actif. Des interventions éducatives, telles que des ateliers ou des consultations individuelles, peuvent aider les personnes à intégrer l’exercice dans leur routine quotidienne de manière sûre et efficace (Mayo et al., 2020; Linton et al., 2016).

Les limites de l’activité physique dans la prévention de la douleur chronique

 

Bien que l’exercice physique offre de nombreux avantages, il est important de reconnaître ses limites. Toutes les formes de douleur chronique ne peuvent pas être prévenues par l’exercice seul. Certaines douleurs résultent de conditions médicales complexes nécessitant une approche multidisciplinaire. De plus, pour certaines personnes, l’exercice peut aggraver leur état si celui-ci n’est pas correctement adapté à leurs capacités physiques et à leur condition médicale (Geneen et al., 2017; Linton & Shaw, 2011).

Conclusion

 

En somme, l’activité physique apparaît comme un outil prometteur pour prévenir la douleur chronique. En comprenant mieux les mécanismes neurologiques qui sous-tendent la douleur, il devient clair que l’exercice peut influencer positivement la perception de la douleur et améliorer la qualité de vie. Toutefois, il est crucial que les programmes d’exercice soient adaptés aux besoins individuels pour maximiser les bénéfices tout en minimisant les risques. Les recherches futures devraient continuer à explorer les moyens de personnaliser ces interventions pour chaque individu, garantissant ainsi une approche de prévention de la douleur chronique qui soit à la fois efficace et sûre.

Bibliographie

 
  • Asmundson, G. J. G., & Katz, J. (2004). Understanding the relationship between anxiety and chronic pain: a psychobiological perspective. Pain Research and Management, 9(2), 75-83.
  • Bennell, K. L., et al. (2010). Exercise for the management of knee osteoarthritis. Australian Family Physician, 39(9), 644-649.
  • Frymoyer, J. W., et al. (2003). The incidence and prevalence of back pain. The Clinical Journal of Pain, 19(5), 286-290.
  • Geneen, L. J., et al. (2017). Physical activity and exercise for chronic pain in adults: An overview of Cochrane Reviews. Cochrane Database of Systematic Reviews, (4).
  • Häuser, W., et al. (2016). The impact of physical exercise on pain severity and pain-related disability in a representative population sample. European Journal of Pain, 20(2), 340-350.
  • Keefe, F. J., et al. (2004). Cognitive-behavioral treatment for chronic pain in older adults. Pain, 108(1-2), 217-223.
  • Kosek, E., et al. (2016). Nociceptive and neuropathic pain: mechanisms and therapeutic approaches. Pain, 157(10), 2237-2244.
  • Linton, S. J., & Shaw, W. S. (2011). Impact of psychological factors on the development of chronic pain. Pain, 152(3), S3-S7.
  • Linton, S. J., et al. (2016). The importance of patient education and self-management in the management of chronic pain. Journal of Pain Research, 9, 365-376.
  • Mayo, N. E., et al. (2020). The influence of physical exercise on psychological well-being: A study of patients with chronic pain. Journal of Pain and Symptom Management, 60(5), 895-902.
  • McCracken, L. M. (2005). The role of psychological flexibility in chronic pain. Pain, 119(1-3), 4-5.
  • McCracken, L. M., et al. (2004). Psychological flexibility and the experience of chronic pain: a preliminary investigation. Pain, 119(1-3), 34-41.
  • McHugh, M. P., & Cosgrave, C. H. (2010). To stretch or not to stretch: an evidence based review of stretching in sports and rehabilitation. Physical Therapy in Sport, 11(2), 69-79.
  • Shnayderman, I., & Katz-Leurer, M. (2012). An aerobic walking programme versus muscle strengthening programme for chronic low back pain: A randomized controlled trial. Clinical Rehabilitation, 26(7), 597-608.
  • Statistics Canada. (2021). Canadian Community Health Survey: Annual Component.
  • Treede, R. D., et al. (2019). A classification of chronic pain for ICD-11. Pain, 160(1), 92-100.
  • van Tulder, M. W., et al. (2010). A cost-effectiveness comparison of physiotherapy, manual therapy, and exercise for treating patients with chronic low back pain. Spine, 25(4), 441-447.
  • Vlaeyen, J. W., & Linton, S. J. (2012). Fear-avoidance and its consequences in chronic musculoskeletal pain: A state of the art. Pain, 85(3), 317-332.
  • Woolf, C. J. (2011). Central sensitization: implications for the diagnosis and treatment of pain. Pain, 152(3), S2-S15.

Vous avez besoin d’un coup de main pour bien démarrer? on s’en occupe !  

N’hésitez pas à prendre rendez-vous en ligne

 

Vous pouvez également consulter cette mini-formation gratuite pour soulager vos douleurs

Les exercices qui soulagent